Chapitre 5

 

 

— Je me fais des idées, ou il semble aller beaucoup mieux ? demanda Nikolaï quand les trois frères glissèrent jusqu’à la chambre.

— Il n’a plus l’air aussi… dérangé, dit Sebastian.

Comme pour leur donner tort, Conrad se mit à marmonner de façon inintelligible, dans une langue que Néomi n’avait jamais entendue, en tournant sans cesse le regard vers la fenêtre.

— Et si tu lui parlais seul à seul ? dit Murdoch.

Nikolaï opina de la tête, et Sebastian et Murdoch quittèrent la pièce.

Après avoir posé la Thermos sur la table de nuit, Nikolaï tira une chaise pliante jusqu’au lit et la posa dossier en avant, pour s’asseoir à califourchon.

Néomi adorait voir un homme assis de cette façon.

— D’où reviens-tu, mon frère ? demanda-t-il de sa voix grave.

Mon frère. L’idée que Conrad puisse être de leur famille continuait à l’étonner. Sebastian semblait déterminé et appliqué, Murdoch était discret et mystérieux, Nikolaï était autoritaire, en bon général qu’il était. Contrairement à eux, le fou était agressif, et elle le soupçonnait d’être déloyal. Dans une bagarre entre gentlemen, elle n’aurait pas été surprise qu’il jette de la terre dans les yeux de son adversaire.

— Qu’est-ce que tu veux ? demanda brusquement Conrad. Pourquoi ne pas m’avoir tué ?

Apparemment surpris par cette entrée en matière, Nikolaï répondit :

— Ce n’est pas notre intention, et ça ne l’a jamais été.

— Quelle est votre intention, alors ? Me droguer et me laisser mourir de faim ?

Nikolaï se leva et s’empara de la bouteille Thermos.

— J’ai apporté du sang. Accepteras-tu d’en boire ?

Il dévissa le bouchon et remplit la tasse qui allait avec la bouteille.

Lorsque Néomi entendit le glouglou sirupeux du liquide épais et sombre, elle se demanda si un fantôme pouvait vomir.

— Toi, me nourrissant de sang… lâcha Conrad de sa voix rauque. Ça me rappelle quelque chose.

Nikolaï sembla se raidir un peu, réprima une grimace et approcha la tasse des lèvres de Conrad.

Ce dernier, obéissant, aspira une longue gorgée.

Il boit du sang. Je vais vomir

Une fois sa bouche remplie, Conrad cracha le sang au visage de Nikolaï, puis éclata d’un rire sinistre de dément. Ses yeux rouges brillaient d’une haine virulente, que seule la mort pourrait effacer, pensa Néomi.

Nikolaï s’essuya avec un pan de sa chemise. Devant une telle patience, Néomi éprouva de la compassion pour lui. Fallait-il qu’il tienne à son frère pour supporter pareil traitement ! Pourtant, Nikolaï ne lui donnait pas l’impression d’être quelqu’un de particulièrement indulgent.

Bien sûr, Néomi ne prenait pas la peine de dissimuler son expression de dégoût. Bizarrement, chaque fois que Conrad tournait les yeux dans sa direction, il lui semblait qu’il devenait plus agité.

Justement, son regard se posait de nouveau sur la fenêtre.

— Tu n’auras rien d’autre que des poches de sang, dit Nikolaï. Si tu n’en veux pas, tant pis pour toi.

— Je chasse. Je bois à la veine, moi. Contrairement à vous, traîtres sans maître, lança Conrad d’un ton cinglant. Je sais que vous me cachez à votre roi. Votre roi russe. Il te fera exécuter pour ça.

— C’est possible. Maintenant, tu sais le risque que nous prenons.

— Pourquoi ?

— Nous voulons t’aider…

— Comme la dernière fois ? hurla Conrad.

Ses muscles saillaient sous sa chemise tant il tirait sur ses chaînes.

Sans se laisser impressionner, Nikolaï poursuivit :

— Nous allons t’aider à lutter contre ta soif de sang.

Les crocs de Conrad semblèrent soudain plus acérés.

— Personne ne peut en guérir. Le rouge de mes yeux ne partira jamais.

— Il partirait si je te vidais de ton sang complètement. Mais tu persisterais à vouloir retrouver cet état, et à tuer encore plus qu’avant. Et tu perdrais tout le pouvoir que tu as acquis.

— Je le sais !

— Mais savais-tu qu’on peut apprendre à contrôler les souvenirs si l’on n’en engrange pas de nouveaux en permanence ?

Devant le regard légèrement surpris de Conrad, Nikolaï continua :

— Nous savons, pour les souvenirs. C’est comme une maladie. Tu ne fais plus la différence entre ceux de tes victimes et les tiens. À cause d’eux, tu as en permanence des hallucinations, et le sentiment que ta tête va exploser sous leur pression.

Que voulait-il dire ? Conrad était malade ? Il y avait donc une raison médicale à toute cette folie ?

— Mais que dirais-tu si tu pouvais les contrôler, y avoir accès à ta guise ? Ta vie ne serait-elle pas bien plus belle sans ces souvenirs pour te tourmenter ? Si nous arrivons à te stabiliser, tu pourras apprendre à les tenir à distance.

Conrad secoua violemment la tête.

— Je veux boire à la veine de mes victimes. Il n’y a qu’à la veine que…

— C’est pour cette raison que nous allons t’aider à trouver ta promise. Parce qu’il existe une pulsion plus forte que celle du sang.

Sa promise ? Nikolaï voulait-il parler de pulsion sexuelle ?

— Et le besoin de tuer ? aboya Conrad. J’y trouve un tel plaisir… Je meurs d’envie de te tuer, toi, ici, maintenant.

— Tout comme il existe une pulsion plus forte que celle du sang, il existe un besoin plus fort que celui de tuer.

— Et c’est quoi ?

— Tu le sauras lorsque tu l’éprouveras.

Conrad regarda une nouvelle fois en direction de la fenêtre.

— Qu’est-ce que vous me mettez dans les veines ?

Parfois, lorsqu’il parlait, il hésitait, comme s’il était surpris de s’entendre dire des choses sensées.

Il devait être fou depuis très longtemps.

— Une espèce de sédatif qu’un devin s’est procuré pour nous auprès des sorcières. Il t’affaiblit physiquement, mais d’ici quelques jours, il ne devrait plus te plonger dans la même stupeur.

— Vous n’avez pas le droit de me droguer !

— Nous ferons ce qu’il faudra, rétorqua Nikolaï d’un ton cassant. Tu étais un homme bon, autrefois, et tu peux le redevenir.

— Je ne suis plus un homme ! Je suis un tueur, et rien d’autre !

— La plupart des créatures du Mythos te croient perdu. Elles pensent que le rouge de tes yeux ne nous laisse d’autre choix que celui de te détruire. Je ne suis pas d’accord. Écoute bien ce que je vais te dire, Conrad : un jour, tu seras guéri de tout cela. Nous avons à notre disposition des ressources que tu n’imagines même pas.

Nikolaï avait dit cela d’un ton fier. Son regard gris s’était nettement assombri, comme voilé par l’émotion. Quoi qu’il se fût passé entre eux, Néomi fut certaine à cet instant que Nikolaï aimait son jeune frère.

Sa réponse était juste assez mystérieuse et assenée avec assez d’assurance pour intriguer Conrad, qui demanda :

— Et je vais être emprisonné et drogué combien de temps encore, exactement ?

— Pendant un mois en tout. Nous allons t’empêcher de tuer pendant un mois. Si nous n’observons aucun changement d’ici là, nous… réfléchirons.

Dans le regard de Conrad, l’intérêt diminua.

— Je n’ai pas autant de temps devant moi.

— Pourquoi ? Que veux-tu dire ?

Conrad ne répondit pas. Il parut se perdre dans ses pensées, son regard dérivant une nouvelle fois vers elle. Elle aurait juré que, depuis quelques instants, il suivait même ses mouvements. Elle se déplaça, mais le regard de Conrad resta à l’endroit qu’elle venait de quitter.

Elle saisit avec précision le moment où Nikolaï comprit qu’il n’obtiendrait rien de plus et perçut sa déception. Le visage grave, il eut un mouvement de tête à l’intention de Conrad et glissa hors de la pièce.

Quelques instants plus tard, Murdoch apparut.

Il remit la chaise pliante à l’endroit et s’y assit, puis se pencha en avant, coudes sur les genoux.

— Tu nous as manqué, Conrad, dit-il doucement.

Ce frère-là, Néomi le trouvait inquiet, comme un homme qui entreprend un long et pénible voyage. Il donnait en permanence l’impression de se dire que le pire était à venir.

— Je sais que tu nous détestes, Nikolaï et moi, à cause de ce qu’on t’a fait, dit-il. Mais on ne peut pas revenir en arrière et effacer ce qui s’est passé.

Qu’ont fait Nikolaï et Murdoch ? Ces sous-entendus, ces tensions, ces non-dits, Néomi devait admettre qu’elle trouvait cela de plus en plus fascinant.

— Tu peux nous traiter comme tu veux, Nikolaï ne cédera pas. Tant qu’il sera convaincu qu’il te reste une chance de salut, il tiendra bon.

Conrad sourit, les dents encore rouges de sang, les crocs saillants. C’était le sourire le plus menaçant que Néomi avait jamais vu, et cela la fit frissonner.

— Alors, persuade-le du contraire, mon frère. Rien ne me délivrera du mal.

Ame Damnée
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